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Es-tu de la bonne couleur ? (Entrevue avec le rappeur Webster)

23 avril 2020 - Curium

Curium : L’histoire du Canada est-elle réellement marquée par l’esclavage ?

Webster : Oui ! Mais la plupart de nos esclaves étaient des esclaves autochtones. Ne perpétuons pas leur effacement de notre histoire ! Aussi, on n’a pas de champs de coton, de tabac, de café ni de canne à sucre. Notre esclavage était donc essentiellement domestique. Mais c’est une simple raison climatique.

Curium : Le fait d’avoir eu des esclaves ici a-t-il un impact sur nous, habillés en mou, en 2020 ?

Webster : Oui. Juste de penser que notre histoire a 400 ans, c’est faux ! Notre culture est millénaire. On commence à compter notre histoire à partir de l’arrivée des Français, ce qui est absurde. Il y avait de l’esclavage ici avant l’arrivée des Européens. Ensuite, si on parle d’esclavage noir, des afro-américains, des afro-caribéens et des Africains ont vécu ici à partir de 1600.

L’impact, c’est de réaliser qu’il y a une africanité dans notre identité ! Beaucoup de descendants des esclaves d’ici sont blancs, à cause des mariages mixtes. Dans la généalogie québécoise, on a du sang autochtone, français, britannique, écossais, irlandais ET NOIR ! Regardez bien vos arbres généalogiques !

Curium : Ressens-tu de la discrimination raciale au Québec ?

Webster : Oui. On dit aux ados : si tu mets l’effort approprié, tu peux te rendre où tu veux. Mais on ne tient pas compte d’un système où, plus tu montes la pyramide, plus c’est blanc. Les chefs d’entreprise, les conseils d’administration, toutes les structures… économiques, politiques, communautaires… C’est comme si on se délestait du poids d’avoir à changer en tant que société, en mettant ça sur l’ado : travaille pis tu vas y arriver.

Curium : Faut-il faire la révolution ?

Webster : Souvent, les gouvernements ont besoin d’un choc. C’est ce qui se passe avec les jeunes dans la rue pour le climat ! Le statu quo n’est jamais égalitaire. Il est en pente. Et il ne profite pas à ceux d’en bas qui essaient de rééquilibrer l’axe. Le concept de paix n’existe pas si l’injustice est encore là. T’as un « semblant » de paix.

Curium : Le rap peut-il nous aider à révolutionner les choses ?

Webster : C’est un excellent véhicule. Mais rapper, encore une fois, ce n’est pas assez. C’est comme liker sur FB. Ou dire son désaccord dans un post. Cela dit, le rap permet de se regrouper autour d’une idée. Quand j’étais ado, je ne me reconnaissais pas dans la télé. La culture hip-hop, soudainement, c’était nous ! On disait : « yo ils sont comme moi, eux ! » Je reconnaissais la ruelle de Limoilou dans celles de New York. En faisant du rap, on mettait de l’avant notre propre appareil culturel parce qu’on ne se retrouvait nulle part !

Curium : Ce qui se passe présentement avec le rap, ça te réjouit ?

Webster : Bien sûr ! Mais il faut noter que le rap entre dans les médias québécois au moment où les rappeurs mis de l’avant sont blancs. Les décideurs ont cautionné ce qui les mettait à l’aise. « Il ressemble à mon fils, lui. »

Pour moi, ce n’est pas de l’appropriation culturelle, parce que ces rappeurs blancs viennent vraiment de la culture hip-hop. On ne peut pas les blâmer. On peut juste se désoler qu’ils aient peur de dire : « yo, y’a un problème ». Quand on parle de reconnaître ses privilèges, ben… on est en plein dedans ici. À l’époque, je disais : quand le hip-hop va être accepté, on va voir plus de diversité à l’écran (rires). J’étais naïf.

Curium : Pourquoi ce qui semble si évident pour les plus jeunes (la diversité) est encore si difficile à concevoir pour les plus vieux ?

Webster : Le Québec s’est longtemps perçu comme une minorité dans une marée nord-américaine. Dire à cette minorité qu’elle agit comme une majorité envers les personnes racisées, ça crée un glitch. Remettre en question un statut de minorité, c’est remettre en question toutes les luttes depuis la conquête britannique, les luttes pour la langue. Tu remets en question l’existence même de ce qu’ils croient être l’identité québécoise (blanche, francophone, homogène, catholique). La nouvelle génération n’a pas cette vision. Elle ne se reconnaît pas là-dedans

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