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Je suis le projet de vie de ma mère

20 décembre 2021 - Curium

Je compte trop pour ma mère. Je sais que ça a l’air un peu weird de dire ça, tout le monde veut être aimé de ses parents. Mais moi, c’est comme trop. Je suis sa réalisation. Mes échecs sont les siens. Mes victoires sont les siennes. Je suis son produit. Sa raison de vivre. Son unique intérêt.

Émilou, 14 ans

 

Je suis donc hyper surprotégée. J’ai pas le droit de faire grand-chose par moi-même sans qu’elle vienne voir ou s’en mêle, ou sans que ce soit son idée. Elle surveille TOUT ce que je fais. Parce que tout son temps passe sur moi. Des fois, j’aimerais qu’elle suive un cours de danse, genre. Ou qu’elle voie des amis. Pas les parents de mes ami·e·s ou des adultes qui ont rapport à moi. Des ami·e·s À ELLE. Elle aurait moins de temps pour s’occuper de moi et penser à moi. Des fois, je trouve que ma mère n’a pas de vie.

 

J’ai envie de lui dire : get a life, mom. Je ne le dis pas. Je ne veux pas lui faire de la peine.

Parce que je sais que ma mère, elle est toute seule avec moi. Je suis assez intelligente pour le comprendre. Mais c’est trop pour moi. Je peux pas être son unique source de tout. Je peux pas être sa seule amie pis son enfant en plus. J’aimerais qu’elle se trouve un travail. J’aimerais qu’elle fasse autre chose qu’être en relation avec moi. C’est étrange parce que beaucoup de mes ami·e·s m’envient d’avoir une mère si engagée dans mes affaires. Qui me texte tout le temps quand je ne suis pas à la maison. Qui vient jouer avec nous autres aux jeux vidéo. Ils trouvent ça drôle et cool. J’en parle pas, mais c’est vraiment trop lourd. Des fois, j’aimerais juste aller marcher toute seule. Sans elle.

Après avoir lu le témoignage d’Améli, Sophie Leroux, psychologue, propose cette réflexion :

« Trop, c’est comme pas assez. » Voilà une expression populaire qui s’applique bien à la situation de cette jeune. Ce qu’elle ressent est tout à fait normal et sain.

D’autant plus que l’adolescence est une période de quête de liberté et d’identité. Elle est même nécessaire pour devenir un·e adulte indépendant·e. Émilou semble dans une sorte d’impasse. D’un côté, elle n’ose pas nommer ses besoins à sa mère par crainte de la blesser. De l’autre, ne rien dire implique d’étouffer. Tôt ou tard, la relation risque de se détériorer.

Émilou n’a pas à porter la responsabilité du bonheur de sa mère. Elle mentionne d’ailleurs que c’est trop lourd pour elle. Dans une telle situation, on a tout intérêt à aborder comment on se sent avec l’autre, puis à exprimer ses besoins et ses limites. Par exemple, Émilou peut dire à sa mère qu’elle craint de la blesser, mais que leur relation est précieuse et que c’est justement pour la préserver qu’elle aimerait en discuter avec elle. Pour apprivoiser graduellement la séparation mère-fille, Émilou peut faire une marche seule une fois par semaine, puis en augmenter la fréquence ou ajouter une nouvelle activité seule. Sa mère peut également nommer ce qui l’aiderait à prendre une distance, comme d’avoir des nouvelles pour se rassurer lors de ses sorties (elles pourraient s’entendre sur un nombre de contacts, par exemple). Des activités communes planifiées aident aussi à mieux tolérer l’absence de l’autre.

Chose certaine, apprendre à communiquer adéquatement ses besoins et ses limites, c’est un défi dans la relation parent-adolescent·e. C’est néanmoins un atout précieux qui se généralise dans plusieurs domaines de la vie.

Le prénom dans ce texte a été changé par souci de confidentialité.

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