En mode surproduction

29 janvier 2024 - Marie-Hélène Croisetière

Les vêtements instantanés de Shein : l’hyperconsommation à son apogée! Elle est loin, l’époque des collections automne-hiver, printemps-été. Depuis la pandémie, le géant chinois Shein présente de nouveaux modèles à toutes les heures, vendus pour quelques dollars.

Sa vitesse d’exécution est telle que même les icônes de la fastfashion ont l’air complètement dépassées : «Zara et H&M produisent 150 000 à 250 000 nouveaux modèles par année. Shein en propose 1,5 million!», compare Madeleine Goubau, journaliste spécialisée en mode.

Panos Pictures / Public Eye

IA, styliste de l’heure

Shein n’engage pas de designers. Son essor, elle le doit à l’intelligence artificielle (IA). D’heure en heure, l’algorithme scrute les médias sociaux et détecte les vêtements qui plaisent aux internautes.

«C’est en copiant le travail des autres compagnies que Shein crée ses vêtements», dit Madeleine Goubau. Les plaintes pour plagiat s’accumulent, mais puisqu’il s’agit souvent de jeunes designers sans moyens financiers, les causes se rendent rarement aux tribunaux.

Dans les ateliers de Shein, les ouvrières et les travailleurs reçoivent de nouveaux patrons tous les jours. La commande initiale est limitée à quelques exemplaires. Le nouveau modèle a du succès sur le web? L’IA le sait aussitôt. L’information est transmise en temps réel à l’équipe, qui en produit davantage.

Résultat : en trois jours à peine, Shein a conçu, cousu, mis en vente et distribué un nouveau modèle. Un processus qui s’étale généralement sur des semaines, voire des mois dans d’autres compagnies de vêtements. «C’est ainsi que Shein réussit à confectionner 7500 nouveaux morceaux chaque jour», explique Madeleine Goubau.

C’est assez!

En France, les signataires d’une pétition lancée en 2023 demandent que le gouvernement interdise Shein sur son territoire. Cette entreprise est «la version la plus aboutie du modèle de surproduction et de surconsommation qui nous conduit tout droit au désastre climatique», peut-on y lire.

Les entreprises Temu, Cider et Boohoo fonctionnent elles aussi sur un modèle de production «à la demande».

Le vrai prix

Est-ce une bonne façon de s’habiller à moindre coût? Pas vraiment. «La qualité n’est pas au rendez-vous, les vêtements ne durent pas», souligne Audrey Millet, historienne spécialisée dans la mode, chercheuse à l’Université d’Oslo (Norvège) et autrice du Livre noir de la mode.

Pire encore : on parle carrément de travail forcé, poursuit-elle. Installée dans les régions les plus pauvres de Chine, Shein fragmente sa production dans 6000 petits ateliers de 8 à 10 employé·e·s.

Dans une enquête réalisée en 2021 par l’organisme Public Eye, on apprenait que la plupart des travailleurs et ouvrières chez Shein ne bénéficiaient d’aucun contrat de travail, encore moins d’assurances. Avec des journées de 12 heures dans des lieux non sécuritaires, un salaire très bas et un seul jour de congé par mois.

«Si un média révèle les conditions inacceptables d’un atelier, ajoute Madeleine Goubau, Shein s’excuse en feignant l’ignorance.» Elle ferme l’atelier en promettant d’être dorénavant plus vigilante… pendant que ses activités se poursuivent dans ses 5999 autres ateliers!

FICHE D’IDENTITÉ

-Fondée en Chine en 2008-Production en temps réel depuis 2013

-Croissance accélérée en 2021 grâce aux confinements de la COVID-19

-Valeur de l’entreprise : 100 milliards $ US (2022)

-95 % des vêtements contiennent du polyester (du plastique)

Trafic d’influence

Née sur le web, Shein vend exclusivement en ligne, sans aucune boutique permanente. Une grosse économie!

Pour sa promotion, le géant chinois mise sur le pouvoir d’influence des célébrités du web.

À l’écran, ces gourous de la mode rapide déballent des produits offerts et accompagnent leurs vidéos de mots-clics tels #unboxing ou #sheinhaul. «Toute cette abondance envoie le message qu’il est désirable d’avoir une nouveauté quotidienne dans sa garde-robe, s’inquiète Madeleine Goubau. Et avec des chandails au même prix qu’un café, ça devient possible.»

L’écologie à l’eau de javel

H&M, Nike et plusieurs autres enseignes de mode rapide nous invitent à rapporter les vêtements qu’on ne porte plus afin de les revendre. Initiative verte ou écoblanchiment? Pour en avoir le coeur net, trois organismes européens ont placé un dispositif de traçage dans 21 vêtements en parfait état. Elles les ont remis à ces programmes. Résultat? La plupart des articles ont été détruits, perdus ou envoyés dans des pays où la gestion des déchets est moins réglementée. Seulement cinq vêtements ont été revendus !*

* L’enquête réalisée en Europe ciblait H&M, C&A, Primark, Zara, Nike, Uniqlo, Mark & Spencer, The North Face, Boohoo et New Look.

Mieux consommer, un mot-clic à la fois

  • La styliste Sarah Jay est au coeur du mouvement pour une mode durable au Canada, autant par ses créations originales que par ses documentaires et son travail avec l’organisme Fashion Takes Action.
  • «Non merci!», a répondu l’influenceuse Masego Morgan  lorsqu’une entreprise de mode rapide lui a proposé 1000 $ pour promouvoir ses produits sur Instagram.
  • Avec le compte Instagram de l’activiste Venetia La Manna, les rouages de la mode rapide n’auront plus de secrets pour vous!

Renverser la vapeur

«Pour une mode éthique et durable, il faut revoir nos valeurs, dit Madeleine Goubau. On associe le succès au fait de posséder beaucoup matériellement, alors qu’il faudrait inverser la tendance.» Eh oui, ça peut se faire dans le plaisir!

«En choisissant moins mais mieux, ça devient plus le fun, assure-t-elle. On crée un lien avec nos vêtements. Ils nous donnent une signature.»

Quant à elle, Audrey Millet recommande la règle des 3 avant d’acheter :

1. Pourrais-je le mettre à 3 occasions différentes?

2. En aurai-je encore envie dans 3 jours?

3. Puis-je créer 3 tenues avec ce morceau?

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