Abdobsession

17 juin 2022 - Philippe Marois

Plusieurs rêvent d’un six-pack flamboyant. Mais à quel prix?

Ce ne sont que six bosses fermes, alignées au-dessus du nombril. Pourtant,
elles sont souvent perçues comme un attribut du corps parfait, un redoutable outil de séduction, le Saint-Graal de la mise en forme. Quel est ce muscle qui fait tant rêver?

Présentons le six-pack par son vrai nom: rectus abdominis. En français, le muscle droit de l’abdomen.

Il descend de la cage thoracique jusqu’au pubis, et il est traversé par un quadrillage de tendons, qui forme des creux entre les différentes sections du muscle. Les fameux six paquets de l’expression consacrée.

À quoi ça sert ?

Avec les autres muscles de l’abdomen, le six-pack stabilise le tronc et soutient la colonne vertébrale. Plus précisément, rectus abdominis permet au haut du corps de se redresser lorsqu’il est en position horizontale. Le muscle qui surchauffe lors de vos redressements assis, c’est lui!

Vous avez donc tout intérêt à le renforcer, selon le kinésiologue Marc-Antoine Pépin: «Ce muscle réduit les risques de blessures lorsqu’on lève des charges lourdes.»

Mais attention, il y a une attrape. Le fait d’avoir des abdos bien visibles ne veut pas nécessairement dire que le muscle est puissant: «On peut avoir un six-pack sans qu’il soit fort. À l’inverse, certains athlètes très musclés n’ont pas de six-pack.»

Comment est-ce possible?
L’apparition d’un beau quadrilatère sur le ventre n’a rien à voir avec le nombre de redressements assis effectués chaque jour. La clé est plutôt… alimentaire. Moins il y a de gras, plus la peau qui recouvre le muscle est mince et épouse le relief ondulé de rectus abdominis.

Règle générale, il faut un taux de gras corporel d’environ 10 % chez l’homme et de 15-20 % chez la femme pour que les abdominaux deviennent apparents. Le problème, c’est que ce taux est difficile à atteindre. Chez plusieurs, il nécessite une diète alimentaire stricte et implique un taux de gras trop faible pour être en bonne santé.

Pour assurer le bon fonctionnement du corps, un certain taux de gras est en effet essentiel. Il permet d’emmagasiner de l’énergie, de protéger les organes, de sécréter des hormones. À trop vouloir faire disparaître les couches de gras pour dévoiler les muscles du bedon, on joue avec notre santé.

Attrayant six-pack

Pour quelles raisons plusieurs hommes tiennent-ils à ce que leur beachbody soit agrémenté d’un six-pack? Le psychologue Roberto Olivardia, professeur à l’Université Harvard, s’est penché sur la question:

1 – Il est partout

Que ce soit sur Instagram, dans les magazines ou sur le grand écran, les images de torses nus abondent. Même le design des costumes de superhéros évoque clairement le motif des abdos! Le message martelé par tous ces corps identiques est clair: pour être beau et sexy, il faut un six-pack.

2 – Il symbolise l’effort

Des abdos bien musclés représentent la discipline d’entraînement, la persévérance et les sacrifices nécessaires pour les obtenir. Des caractéristiques prisées dans l’image traditionnelle de la masculinité.

Ces deux facteurs font en sorte que les muscles abdominaux sont devenus une source d’admiration chez les hommes. «Si tu veux être un vrai gars, ça te prend de gros abdos!» Et vous savez quoi? Des études ont indiqué que les femmes y accordent bien moins d’importance que les hommes. Pour le facteur séduction, du moins chez les hétérosexuels, on repassera.

CE N’EST PAS NOUVEAU !

Antiquité
Les sculptures grecques de l’époque montrent des silhouettes athlétiques masculines qui n’ont pas une once de gras.

19e siècle
Après des siècles où les corps plus rondouillets ont eu la cote, la musculature de l’art antique redevient la physionomie convoitée et admirée.

Début du 20e siècle
La culture de l’homme musclé entre dans l’imaginaire, mais les vedettes n’exposent pas encore leur ventre bien ferme. On vous met au défi de trouver un cliché des abdos de James Dean

Années 1980
Le monde découvre une montagne de muscles autrichienne : Arnold Schwarzenegger. Les abdos deviennent à la mode… jusqu’à aujourd’hui.

La pression de l’image au masculin

Alors que l’on dénonce (avec raison) la pression que subissent les femmes pour avoir une silhouette mince, des études démontrent que bien des hommes ont également une faible estime de leur image corporelle.

Selon Roberto Olivardia, on observe un lien clair entre l’utilisation des médias sociaux, surtout ceux basés exclusivement sur l’image comme Instagram, et le nombre de gars insatisfaits de leur corps qu’ils souhaitent plus musclé. Ce manque de confiance en soi entraîne son lot de conséquences: crainte de parler en public, de faire les premiers pas, de demander une promotion au travail…

Quand les choses dérapent, cette pression de l’image peut mener à des troubles alimentaires, de l’anxiété sociale, des épisodes dépressifs, ou même (dans les cas extrêmes), des tentatives de suicide. Tous des cas de figure que le psychologue a vus parmi sa clientèle masculine.

Pas que les abdos

Les bourrelets du ventre ne sont plus l’unique source d’anxiété. Certains jeunes s’entraînent en visant le corps parfait, en entier. Ils veulent muscler les épaules, les bras, les cuisses. Ils veulent un faible taux de gras, une taille fine.

«C’est malheureusement la mode du jour, dit Marc-Antoine Pépin. Les
stratégies utilisées pour atteindre ce résultat ne sont pas optimales. Les jeunes vont regarder quelqu’un sur Instagram qui propose un exercice ou une diète, et ils vont sauter là-dedans sans être outillés pour bien le faire.»

Avoir des abdos proéminents n’est pas un problème en soi. C’est de vouloir atteindre cet objectif à tout prix qui peut devenir dangereux.

Comment savoir si vous allez trop loin dans votre entraînement? «Quand on ne se permet aucun écart, aucun plaisir, qu’on évite de prendre du dessert parce que ça ne cadre pas dans sa diète, poursuit Marc-Antoine Pépin. Quand on évite d’aller voir des ami·e·s parce qu’on doit absolument s’entraîner. Lorsque tous nos choix sont guidés par l’objectif du corps parfait, ça devient un problème. Et si des ennuis de santé surviennent, comme un manque d’énergie, des troubles du sommeil ou de l’irritabilité, il faut chercher de l’aide professionnelle.»

La clé? Même si c’est vraiment plus facile à dire qu’à faire, se rappeler au quotidien que tous les corps ne sont pas identiques, et que vous n’avez pas besoin de ressembler à un influenceur en maillot pour être beau et bien dans
votre peau.

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