Arts numériques : En mode binaire
Ordinateurs, interfaces, réseaux… Incursion dans un univers flamboyant, où les artistes s’emparent du langage binaire.
Le Québécois Martin Messier se sert d’influx électriques aléatoires pour peindre le flot de la pensée humaine. Inspiré par la symbolique de la lumière, l’artiste mexicain Rafael Lozano-Hemmer braque des projecteurs dans le ciel de la frontière mexicano-américaine.
Plus que jamais, la technologie est au coeur du processus artistique : « Au cours des cinq, dix dernières années, plein de choses sont devenues possibles », dit Vincent Morisset, créateur montréalais et fondateur du studio AATOAA. Selon lui, cette effervescence s’explique notamment par le fait que les machines peuvent apprendre par elles-mêmes (apprentissage automatique).
Un exemple ? La reconnaissance faciale et corporelle, comme celle utilisée par les filtres de nos téléphones. « La machine peut maintenant comprendre exactement où est le corps et modifier son image », illustre le créateur, qui a exploré cette avancée technologique dans Vast Body. On y danse devant un écran miroir doté d’un réseau de neurones artificiels. Notre reflet ? Une danseuse professionnelle qui reproduit nos mouvements !
La machine comme complice
« Les technologies apportent à l’art de nouvelles manières d’exprimer des idées, des émotions, des sensations, explique Nathalie Bachand, spécialiste en art numérique et commissaire d’exposition. Par exemple, les mécanismes électroniques permettent de créer des oeuvres qui, pour « exister », ont besoin d’être expérimentées. »
Les oeuvres qui intègrent de l’animation 3D jouent avec nos perceptions de l’espace : « Imaginons des projections visuelles sur un dôme qui nous englobe, poursuit Nathalie Bachand. Dans le même esprit, il y a aussi les projections architecturales qui créent des effets d’illusion visuelle. Les bâtiments semblent s’animer sous nos yeux ! »
Dans la performance robotique Inferno, les spectateur·trice·s portent des exosquelettes dont ils n’ont pas le contrôle.
Les technologies permettent aussi aux artistes de jouer avec les sens. Ouïe, odorat, toucher… Le champ artistique s’élargit pour offrir des expériences polysensorielles.
En galerie ou à la maison
Vous n’avez pas de casque VR ou d’ordinateur à la fine pointe ? Rassurez-vous, ces appareils sont superflus. L’art numérique n’a jamais été aussi facile d’accès, en galerie d’art comme à la maison.
Takethislollipop.com est une oeuvre interactive d’horreur sur le web.
« C’est une invitation à entrer en contact, dit Nathalie Bachand. On peut même parfois faire l’expérience d’une oeuvre d’art comme si c’était un jeu. » En France, les immenses tableaux floraux de Miguel Chevalier interagissent avec le public. Soufflez sur le champ et voyez les fleurs danser.
Pas besoin d’aller loin non plus : « Le mème est une forme d’art en soi, c’est le nouveau haïku », affirme Vincent Morisset. Les musées l’ont d’ailleurs bien compris. Aux États-Unis, le prestigieux Metropolitan Opera de New York (MET) ouvre son catalogue de collections classiques et libère ses droits pour les artistes du mème : « Tu peux prendre une oeuvre classique comme la Joconde, en faire un mashup et lui mettre des lasers arc-en-ciel dans les yeux, illustre le créateur. C’est magique ! »
On peut également regarder vers la réalité augmentée, qui connaît actuellement son âge d’or. Même la NASA s’est prêtée au jeu avec l’exposition L’INFINI créée en collaboration avec le studio montréalais Félix & Paul.
Que dire enfin des possibilités du chatbot et des discussions avec des êtres virtuels ! « Les conversations sont maintenant bluffantes, confirme Vincent Morisset. Il y a de l’humour intégré, des mécanismes d’autodérision. La ligne entre le réel et le virtuel devient de plus en plus fine. »
Le coût du numérique
Tout n’est pas rose dans ce bac à sable 2.0. Les algorithmes ont des biais. Ils reconnaissent moins les visages afro-américains, par exemple. La qualité de l’expérience peut donc varier selon les individus. Idem pour le partage des données. Qu’adviendra-t-il de nos informations biométriques, une fois l’expérience terminée ?
« Il faut rester lucide, insiste Vincent Morisset. Avec l’art numérique viennent de nouvelles responsabilités. » Le créateur note aussi un problème de convergence qui n’existait pas il y a une dizaine d’années : « Le web s’est contracté sur lui-même, on est davantage prisonnier de deux ou trois plateformes comme Google et Facebook. Le terrain de jeu est plus limité. »
Agile avec le numérique, le public adolescent est particulièrement exigeant : « On ne peut pas prendre de raccourcis avec les jeunes, indique Vincent Morisset. Si le projet est lame, ils vont le trouver lame… même si c’est interactif et que ça bouge ! (rires) »
Sky is the limit ?
La force de calcul des ordinateurs ne cessera d’augmenter, notamment avec l’informatique quantique : « Cela aura certainement un impact majeur sur les oeuvres, soutient Nathalie Bachand. Plus les machines seront puissantes, plus les résultats seront complexes. »
La pandémie a aussi mis de l’avant cette idée de monde virtuel, ce refuge parallèle dans lequel on peut exister et mener une autre vie. « J’ai un ami qui joue à Red Dead Redemption, mais qui s’amuse seulement à s’y laisser pousser la barbe, décrit Vincent Morisset. Les jeux vidéo évoluent, ils sont dorénavant un terrain de jeu, un lieu de rencontre et une plateforme sociale ! »
À essayer aussi :
Astronaut.io, une oeuvre poétique à partir d’archives de particuliers sur YouTube.
Le concert de Travis Scott dans Fortnite :
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