Concours Uchronie – Premier prix

18 août 2020 - Curium

Dans notre numéro d’été, nous vous parlions des uchronies, ces récits de science-fiction qui changent un élément du passé. Vous pouvez lire ici le texte de Sarah Quingley, qui a remporté le premier prix. 

Postulat: si les femmes n’avaient pas obtenu le droit de vote au Québec

 

Un souffle. L’homme devant moi réprime un éternuement. Un léger frémissement vient perturber sa moustache tandis qu’il grimace de manière peu élégante. Je porte attention au moindre de ses mouvements, remarquant chaque détail, chaque pli dans son visage olivâtre. Épie le moindre de ses gestes. À la guerre comme en amour, tous les coups sont permis. Et dans mon cas, il ne s’agit guère de doux sentiments…

Non. J’observe. Je reproduis. Le mime est un art que peu arrivent à maîtriser et j’ai la chance d’avoir un don pour cela. J’emprunte les expressions de l’homme devant moi à la perfection.

Celui-ci me jette un regard suspicieux. Il doit bien sentir la brûlure de mon regard sur sa nuque. Je rougis, tâchant de feindre l’innocence. Le moindre faux pas me serait fatal.

Jamais de toute ma courte vie n’ai-je ressenti autant de fébrilité. Et pourtant. Rien de bien excitant à faire la queue en silence dans un corridor beige crème. Or cet instant pourrait bien changer ma vie. Nos vies. J’en viens à me demander comment diable font tous ces hommes pour demeurer aussi calmes dans un pareil instant. Je tremble si fort que ma perruque menace de se déloger à tout moment. Jamais auparavant n’aurais-je pu deviner qu’en ce 2 juin 1997, je me retrouverais à faire la file au bureau de vote.

« Une femme», m’avait dit le prêtre, «n’a pas la même capacité de jugement qu’un homme. Voyez comment Ève, la génitrice originelle, s’est laissée berner par le diable à l’époque d’Éden. Elle qui a enfanté toutes les femmes de cette Terre ne peut que leur avoir légué sa sottise. »

Je l’avais cru. Je suis longtemps demeurée convaincue que j’étais beaucoup plus bête que mon frère Adrien. Or, les évènements me prouvèrent tout autrement.

Adrien, pourtant d’une excellence académique notoire, excellait encore plus dans l’art de la fourberie. Au début, il ne s’agissait que de mensonges anodins pour éviter les conséquences ou un terrible examen. Or, le pire mensonge est advenu le jour où il s’est adonné à son douteux commerce.

Il n’avait que seize ans à l’époque. Ayant besoin d’un peu d’argent à l’époque, il a opté pour une solution facile, soit le vol d’un voisin plutôt nanti. Or, le vol a été dénoncé. Aussitôt, mon frère s’est proposé d’enquêter sur le sujet. Étant bien apprécié par le voisinage, le couple a immédiatement accepté. Adrien a donc fait mine d’enquêter et a fini par faire emprisonner un innocent. Le service de police l’a donc engagé pour continuer ces enquêtes mineures et le payait pour ses services. Mais un seul vol ne lui a pas suffi. Il a commencé à voler, violer, même une fois tuer tout en faisant passer ses crimes sur le dos de purs innocents. C’est ainsi que j’ai pris conscience de ma propre sagesse.

Aujourd’hui, je me trouvais, ma foi, bien stupide d’avoir enfilé ces habits d’homme pour entrer au bureau de vote. Je pouvais me faire démasquer à tout moment. Le risque était si grand. Mais il fallait le faire.

Je ferais tout.

Tout.

Pour ne jamais voir Adrien premier ministre.

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