Alerte psychosomatique
Maux de tête, maux de ventre, douleurs, fatigue excessive… mais aucune raison médicale apparente. C’est psychologique ?
Un adolescent sur dix éprouve ce qu’on appelle les troubles somatoformes. Des symptômes physiques apparaissent, s’installent et durent plusieurs mois, voire des années, sans qu’on puisse les expliquer médicalement.
Après avoir consulté un paquet de spécialistes et passé une multitude de tests : toujours « rien ». Du moins, rien du côté physique pour expliquer les symptômes. Et si c’était plutôt la tête qui faisait mal au corps ?
Pas juste dans la tête
« Les adolescents touchés par un trouble somatoforme ressentent réellement la douleur », souligne Olivier Jamoulle, pédiatre à la clinique de médecine de l’adolescence du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine à Montréal. Chez les filles, ce sont les maux de tête qui prévalent. Les garçons souffrent davantage de fatigue extrême. Maux de ventre, douleurs articulaires ou musculaires et étourdissements comptent aussi parmi les symptômes communs.
Attention ! On ne parle pas ici de l’estomac noué avant un examen ou de la grosse fatigue de fin de session qu’on répare par quelques bonnes nuits de sommeil ! Ça, on l’expérimente tous. « Tous les êtres humains somatisent, c’est une stratégie normale, explique Olivier Jamoulle. Le corps humain est bien fait : il envoie des signaux quand on lui en demande trop. »
Mais quand les symptômes prennent toute la place, ce n’est pas normal. « C’est comme si ces adolescents fonctionnaient en mode ralenti », décrit le médecin. Tout devient difficile. Aux douleurs s’ajoutent une baisse d’énergie, de l’anxiété, des absences longues et répétées à l’école, de l’isolement. Dans quelques cas, les troubles somatoformes peuvent atteindre un stade extrême. C’est très rare, mais les symptômes sont alors sévères (paralysie partielle, perte de la parole).
Les émotions en cause
Anxiété de performance, pression pour accomplir avec succès beaucoup de choses, obsession du contrôle… On retrouve généralement un peu de tout cela derrière un trouble somatoforme. Le tout accentué par une incapacité à bien identifier les émotions. Par exemple, ne pas reconnaître un état émotif qui devrait agir comme un signal d’alarme. Olivier Jamoulle reçoit dans son cabinet « des ados qui ne savent pas ce que veut dire être stressé », et qui le sont pourtant parfois à l’excès.
On appelle ça le défaut de mentalisation : impossible de reconnaître les émotions et de leur donner un sens. Un état affectif insupportable qu’on n’arrive pas à traduire peut finir par s’exprimer par des symptômes physiques. Parce qu’il faut bien que le méchant sorte ! « Ces ados sont pris dans une situation insupportable dont ils peinent à parler. Comme dans une impasse. Des ados souvent performants à l’école, dans les activités parascolaires, et socialement », note le pédiatre.
Et si la médecine se trompait ?
C’est LA crainte qui revient tout le temps chez la plupart des patients. Avec tous ces symptômes, impossible qu’ils n’aient rien ! Des douleurs abdominales causées par de la somatisation, c’est bien beau, mais… et si ? Et si on passait à côté d’un diagnostique grave ? Et si ne pas faire tel ou tel test s’avérait une erreur fatale ?
Eh bien justement, il n’y a pas « rien ». Une cause psychique, ce n’est pas rien. Mais c’est plus difficile à concevoir qu’une cause physique. Une douleur au poignet causée par un problème articulaire confirmé par des rayons X, c’est concret. Et c’est plus facile à comprendre.
Alors, comment être certain ? Dans la plupart des cas, on observe un rythme biologique incohérent. Les symptômes se font sentir à certains moments seulement. Par exemple, ils se font moins présents les fins de semaine, mais la perspective du retour à l’école les réactive. Ou encore le sommeil n’est pas perturbé. « On ne voit pas ça quand c’est une maladie physique, affirme Olivier Jamoulle, alors c’est un premier indice. » Aussi, médecins et psychologues travaillent ensemble pour déterminer, à l’aide de critères bien définis, s’ils se trouvent face à un trouble somatoforme.
« Reconnaître la souffrance et prendre les plaintes au sérieux, c’est le point de départ du traitement », dit-il. En gros, il faut ensuite apprendre à gérer le stress, à mentaliser, à faire le lien entre symptômes physiques et émotions. La plupart des patients redeviennent fonctionnels après six mois à un an de suivi. C’est le critère sur lequel les médecins se basent pour évaluer le succès d’un traitement. Quand les symptômes ne prennent plus toute la place, on peut retrouver l’école, les activités, les amis… avec une meilleure connaissance de soi-même !
Texte : Sophie Mangado
publiez votre commentaire
dites-nous ce que vous en pensez