Qu’avez-vous dans le ventre? Dossier microbiote intestinal
Une légion de microbes colonise vos intestins. Ces organismes dictent votre appétit, jouent sur votre humeur et influencent même votre santé globale. Petite plongée au creux de vos entrailles.
Ça jase entre le ventre et le cerveau! Et ils échangent beaucoup plus que des blagues de pets…
Prenez des personnes souffrant d’une dépression majeure. Récoltez des échantillons de leurs selles (un mot gentil pour parler de leur caca). Transférez ces prélèvements à des rats dont les intestins ont été stérilisés. Observez les microbes fécaux coloniser leur nouveau milieu.
Et puis? Le comportement des rats se transforme. Les rongeurs ne démontrent plus autant d’intérêt pour les boissons sucrées. Ils se cachent dans leur labyrinthe et cessent de grimper dans leurs jeux. Deviendraient-ils dépressifs eux aussi?
Cette récente étude irlandaise témoigne de la révolution qui secoue la science du ventre depuis deux décennies. Notre intestin n’est pas une simple machine à digérer la crème glacée. Au contraire, cet organe joue un rôle clé pour le système immunitaire, les maladies neurologiques et la santé mentale.
«Des liens se tissent avec plusieurs disciplines de la recherche scientifique», explique Mathilde Poyet, microbiologiste et professeure à l’Université Christian-Albrecht de Kiel, en Allemagne.

Ça grouille là-dedans!
Au coeur de ce bouleversement se trouve le microbiote intestinal. Il s’agit de l’ensemble des micro-organismes colonisant notre système digestif : bactéries, virus, champignons. Des milliers de milliards de joyeux compagnons qui grouillent dans notre ventre.
Nous, humains, avons toujours évolué auprès de tels microbes. Ils profitent de nous ; nous profitons d’eux. Notre intestin leur offre un cocon chaud et un buffet à volonté. En retour, ils nous rendent certains services.
Par exemple, nos bactéries intestinales produisent les vitamines dont nous avons besoin pour bouger. Ces bactéries digèrent aussi certaines fibres végétales, comme les grains entiers, qui résistent à notre estomac. Un véritable couteau suisse!
Allô, le cerveau? Ici le ventre!
L’intestin est tapissé de 200 millions de neurones qui orchestrent votre digestion de façon quasi indépendante de vos méninges. Voilà pourquoi, dans les années 1990, l’intestin s’est vu affubler le surnom de «deuxième cerveau».
Il faut toutefois attendre les années 2000 pour que cette expression prenne tout son sens. Les scientifiques découvrent alors la richesse infinie du microbiote intestinal. Plus étonnant encore, on observe des différences significatives dans l’écosystème microbien de personnes autistes, dépressives ou atteintes de la maladie de Parkinson.
Grâce à des expériences sur des rongeurs, il devient clair que le ventre entretient des liens étroits avec l’humeur, la santé mentale, les comportements sociaux et la prise de décision. Cette autoroute insoupçonnée porte un nom : l’axe intestin-cerveau.
Voies multiples
Plusieurs canaux de communication relient les intestins et le cerveau :
Le nerf vague (c’est son nom !) connecte le cerveau aux systèmes digestif, cardiaque et respiratoire.
Les bactéries influencent certains neurotransmetteurs relâchés par les neurones de l’intestin, comme la sérotonine.
Des composés chimiques issus du microbiote atteignent le cerveau via le sang.
En digérant les fibres végétales, des bactéries intestinales produisent des composés qui ressemblent étrangement aux neurotransmetteurs, ces molécules servant de messagers entre les neurones. Ils sont si similaires qu’ils ajoutent leur grain de sel à la conversation.
D’autres bactéries ne se contentent pas de la contrefaçon : elles produisent d’authentiques neurotransmetteurs. Une étude de 2022 montre que la bactérie Eubacterium limosum peut fabriquer de la dopamine, responsable du sentiment de plaisir. «C’est ce qui explique la sensation de bien-être après avoir mangé du chocolat», explique Corinne Maurice, spécialiste du microbiote
à l’Université McGill.
Du calme, pompon!
Les interactions entre le ventre et la psyché paraissent impressionnantes. Il faut toutefois se méfier des conclusions hâtives, prévient le microbiologiste Frédéric Raymond de l’Université Laval.
Revenons à l’expérience des rats déprimés. Et si l’implantation du microbiote humain faisait souffrir les rongeurs, sans les rendre dépressifs pour autant? Cela pourrait expliquer leur manque d’entrain. «Quand on ne se sent pas bien dans notre ventre, on ne se sent pas bien en général», souligne le microbiologiste.
La prudence reste de mise, le temps de dépatouiller le tout. Une histoire à suivre, dans une souris près de chez vous!
publiez votre commentaire
dites-nous ce que vous en pensez