C’est juste des filles.
31 mars 2019.
Veille du 1er avril, journée du poisson d’avril.
Une nouvelle digne d’un poisson d’avril sort dans les médias. Mais ce n’est malheureusement pas une blague. La première ligue de hockey féminin professionnel en Amérique du Nord et même dans le monde, la Ligue Canadienne de Hockey Féminin (LCHF), cessera ses activités le 1er mai 2019, pour cause de non-rentabilité.
Dire qu’il y a une semaine jour pour jour se jouait la finale de la Coupe Clarkson, le Saint Graal du hockey féminin canadien. La finale a passé pour la première fois à la télé où les cotes d’écoute ont démontré que 175 000 personnes aux États-Unis et au Canada étaient à l’écoute de ce match opposant les Canadiennes de Montréal et l’Inferno de Calgary pour une troisième fois en quatre ans. Le hockey féminin commençait à enfin connaître l’essor qu’il méritait.
Les joueuses de la LCHF ont montré, depuis sa création en 2007, que le hockey pouvait être joué par des femmes et garder le standard de qualité très haut. Ça aura pris presque 10 ans après la première présence de hockeyeuses aux Jeux olympiques (Nagano, 1998) pour qu’une première ligue professionnelle féminine soit créée.
Ça aura pris 10 ans, mais les joueuses furent finalement payées pour exercer leur sport. J’aimerais reprendre les paroles de Shannon Stewart, des Furies de Toronto, qui disent tout: ‘’We played without pay, we played with little pay. We play because we love the game and we want girls to grow up dreaming of playing pro hockey and achieving that dream. We will not give up.’’ Les filles de la ligue se sont unies, au lieu de se diviser après cette dure épreuve. Même s’il leur ‘’est difficile de rester optimistes’’, elles ne lâchent pas et se battront.
Quand on parle de pionnières, on pense souvent aux suffragettes qui se sont battues pour avoir le droit de vote et par la suite, à toutes les femmes qui ont dû se battre pour avoir les mêmes droits juridiques que les hommes, avec raison.
Selon le Larousse, une pionnière est une ‘’personne qui ouvre la voie à quelque chose, qui est la première à faire quelque chose’’. Mine de rien, c’est ce qu’elles ont été. À chaque match, à chaque pratique, pendant 10 ans, elles ont sauté sur une glace pour jouer au hockey professionnel. Pendant 10 ans, elles ont joué sans salaire pour l’amour de leur sport et parce qu’elles savaient que rien ne serait facile, qu’elles devraient redoubler d’effort pour faire reconnaître leur sport et de quoi elles étaient capables.
Pendant 10 ans, elles ont pratiqué un sport de façon professionnelle en plus d’exercer un emploi. Pendant plus de 10 ans, elles en ont brisé des barrières de verre. Même si ça faisait deux ans que les hockeyeuses de la LCHF étaient payées, on était loin des millions que font leurs homologues masculins de la LNH. Les filles gagnaient entre 2000 et 10 000$… par année! Encore là, on est loin même du salaire minimum!
À l’école, il n’est pas rare que l’on parle de hockey entre nous, même parfois avec les enseignants. Que de consternation quand j’embarque dans la conversation! Encore plus quand je commence à parler d’Ann-Sophie Bettez, d’Hilary Knight, de Noora Raty et de Marie-Philip Poulin! Je vous mets au défi: pensez à un sport que vous aimez et qui est traditionnellement réservé aux hommes (soccer, football, hockey, etc.). Maintenant, nommez trois femmes pratiquant ce sport. Une fois que ce sera fait, pensez avec qui vous parler de ce sport. Y a-t-il des femmes dans le lot?
Connaissez-vous des filles qui se passionnent pour ce sport, sans nécessairement y jouer? Combien de fois ont-elles essayé d’en parler avec vous? Combien de fois ont-elles réussi? Les avez-vous prises au sérieux? Le sport féminin est sous-estimé.
Pourtant, qui a été intronisée au Temple de la renommée du hockey l’an dernier? Jayna Hefford! On pense à Gary Bettman et à Martin Brodeur, mais pas à Jayna Hefford.
Qui a marqué le but en or en 2014 à Sotchi pour permettre aux Canadiennes de mettre la main sur un 4ème sacre olympique de suite, seulement en 5 éditions? Marie-Philip Poulin!
Pour moi, le hockey féminin n’est pas comme le hockey masculin. Pour moi, le hockey féminin n’est pas seulement un sport, mais bien une forme d’espoir contemporain. Un espoir, certes pour les filles, mais aussi pour l’ensemble de la planète. Les hockeyeuses nous démontrent une solidarité incroyable en s’entraidant les unes les autres. Elles nous démontrent qu’ensemble, rien n’est impossible, ‘’que l’union fait la force’’.
Après l’annonce de la LCHF de se dissoudre le 1er mai prochain, les joueuses ont fait front commun pour exprimer leur déception et leur espoir quant au fait que la situation change et qu’elles retrouvent leur emploi. Ce front commun a continué quelques jours plus tard, quand nous avons appris que la NWHL a donné l’accord pour qu’une expansion ait lieu à Toronto et à Montréal.
Cependant, ce ne seront fort probablement pas les Furies et les Canadiennes qui y seront, car les joueuses ont décrété qu’il était immoral de laisser 4 équipes et plusieurs joueuses derrière, sans certitude qu’elles auront un emploi à temps plein en septembre, comme c’était le cas lors des 12 dernières saisons.
Il faut les comprendre : comment pouvons-nous préférer certaines joueuses à d’autres ? Si, demain matin, la LNH cessait toute activité au Canada, mais qu’après coup, elle décidait de réintégrer deux équipes sur les 7, lesquelles resteraient ? Ce ne serait pas équitable pour leurs collègues qui ne pourraient pas réintégrer la ligue!
On connaît l’euphorie du hockey féminin une fois tous les quatre ans, lors des Jeux olympiques d’hiver. Depuis 20 ans, on a toujours le droit à une finale enlevante opposant l’équipe nationale féminine et l’équipe des États-Unis. Les feintes, les buts, les célébrations auxquels on a le droit sont dus au fait qu’elles ont pu exercer leur sport pendant 4 ans, 5 mois par année. Ce n’est pas lorsqu’elles sont en pratique ensemble 6 mois avant les Olympiques qu’elles y apprennent tout ça. Tout ce qu’elles font, c’est pratiquer et s’améliorer.
Pendant trois des 4 années du cycle olympique, les hockeyeuses ont la chance de développer leur jeu, tenter certaines choses, comme leurs homologues masculins le font dans la LNH, entre autres. Si on leur enlève la chance de pratiquer leur passion sur une base régulière pendant 3 ans, nous devrons nous attendre à ne plus voir les mêmes choses qu’avant aux Olympiques. Certes, elles pourront jouer entre elles, mais ça ne sera pas pareil. Il n’y a rien comme un objectif pour nous dépasser. Et c’est ce que la LCHF représentait pour beaucoup de joueuses. Elles avaient la chance de jouer dans le plus vieux circuit féminin au monde et parfois même, dans leur pays natal.
Moi, j’espérais voir une relève plus enthousiaste de jouer au hockey, sachant qu’elle a une stabilité comme dans le hockey masculin. J’espérais que les jeunes filles puissent continuer de se surpasser dans leur objectif d’un jour atteindre la LCHF ou un circuit qui serait devenu aussi gros que la LNH.
J’espérais que le hockey féminin devienne aussi important et présent dans la vie des partisans de hockey partout dans le monde. J’espérais surtout que l’effort qu’avaient donné les hockeyeuses professionnelles au bout des années ne serait pas vain, qu’on pourrait les remercier un jour de nous avoir ouvert la voie, comme plusieurs femmes l’ont fait dans leur domaine avant elles.
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