Moi jusqu’au bout des doigts – L’électron libre
Il y a presque un an, j’ai commencé à mettre du vernis à ongles. On était en plein confinement, alors, au pire, c’était laid et personne n’allait le voir.
Comme ce n’était pas laid du tout, j’ai continué. Au début, c’était simple. Je portais le vert forêt que je venais d’acheter. Puis j’ai gradué aux ongles bicolores. Ma combinaison préférée : un fond bleu foncé avec un swoosh de bleu pâle. Cette semaine, mes ongles sont d’un mauve brillant comme un hologramme, un résultat qui demande deux couches de couleur et une couche d’un autre vernis qui crée une réaction chimique assez fascinante à voir.
J’ai beaucoup de plaisir, tous les dimanches, à appliquer tout ça, un peu tout croche, en regardant un film.
Quand j’étais adolescent, je n’aurais jamais osé. Le vernis à ongles masculin était alors réservé à ceux qui avaient le reste du look pour aller avec. Les gothiques et leur vernis noir, par exemple. Mais pour un gars ordinaire comme moi (mon look est si ennuyant qu’on montre des photos de moi aux insomniaques pour les aider à dormir), la couleur sur les ongles aurait détonné. On m’aurait remarqué plus que ce que j’étais prêt à supporter.
Il y a d’ailleurs plusieurs chandails et plusieurs coupes de cheveux que je n’ai pas osé porter à l’époque, même si j’en avais envie. Des choses que j’ai préféré ne pas faire. Des idées que j’ai gardées pour moi. Tout ça pour ne pas trop me faire remarquer.
C’est normal de se soucier du regard des autres. Mais les autres et leur regard, soyons honnêtes, ils sont souvent pas mal niaiseux. Ils ont des opinions un peu débiles, comme celle voulant que la couleur soit réservée aux femmes, et que les autres doivent se contenter de varier les tons de bleu de leurs cravates. Quel ennui !
Heureusement, le regard des autres change avec le temps. De nos jours, ce n’est plus révolutionnaire de se colorer le bout des doigts. Même si j’ai eu droit à un amusant regard d’incompréhension de ma mère, je récolte plus de compliments que de négativité.
Peut-être pour ma sélection irréprochable de couleurs… probablement parce que ce n’est plus le tabou que ça a déjà été. Reste toutes ces années où j’ai été privé du plaisir de sourire en regardant mes mains. C’est tellement bête. Comme quoi être complètement soi-même, jusqu’au bout des ongles (littéralement), c’est parfois de gros combats faits de questions existentielles, parfois de toutes petites batailles.
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