La science sous le chapiteau
À l’École nationale de cirque, à Montréal, des scientifiques aident les élèves à mieux performer.
Vendredi matin. Une adolescente s’exerce au trapèze pendant qu’un jeune homme se tient tête en bas, en équilibre sur une seule main. Dans l’un des nombreux studios, un groupe fait des roulades au sol. À la palestre, six jeunes enchaînent les sauts acrobatiques pendant que d’autres travaillent posture et flexibilité avec une enseignante spécialiste.
Les élèves du programme Cirque-études s’entraînent 21 heures par semaine, en plus des 25 h de cours réguliers du secondaire. Tout se passe dans la bonne humeur, mais qu’on ne s’y trompe pas : leur corps (et leur esprit) sont soumis à beaucoup de pression.
Le cirque est en pleine évolution et ces jeunes devront être les meilleurs pour se distinguer. Comment optimiser les performances tout en minimisant le risque de blessures ? En misant sur la science !
La science du cirque
Depuis six ans, le kinésiologue Patrice Aubertin dirige la Chaire de recherche en arts du cirque, qui vise à optimiser les méthodes d’entraînement de l’École :
« En cirque, le corps est l’outil de travail de l’artiste pour entrer en communication avec le public. Il lui faut un entraînement très poussé » explique Patrice Aubertin, lui-même ancien gymnaste et ex-responsable de la formation au Cirque du Soleil.
Le sport d’élite comme inspiration
L’athlète et l’artiste de cirque n’ont pas les mêmes buts (l’un veut gagner, l’autre veut émouvoir), mais les principes physiologiques à la base de la performance sont les mêmes.
« L’entraînement alterne entre intensité et repos, dit Patrice Aubertin. Il faut d’abord fatiguer le corps afin qu’il s’adapte, par exemple en changeant l’alignement des fibres musculaires. »
Mais on doit ensuite lui permettre de se reposer. Le corps va ainsi se transformer pour être prêt pour le prochain entraînement. « Avec le temps, on améliore la capacité physique et mentale de l’artiste », dit Patrice Aubertin.
Haute technologie
Pour mesurer précisément l’intensité de l’entraînement, l’équipe a fait appel à Dean Kriellaars, professeur au département de réadaptation physique de l’Université du Manitoba, François Prince, professeur titulaire aux départements de kinésiologie et de chirurgie à l’Université de Montréal et l’ingénieure Marion Cossin, doctorante en génie biomédical à l’Université de Montréal. Ils ont utilisé des capteurs, accrochés aux équipements de cirque ou insérés dans une veste intelligente portée par les artistes. Ces instruments de haute technologie mesuraient en temps réel les forces générées lors des numéros de cirque.
Le résultat ? Des mouvements simples en apparence peuvent générer des forces surprenantes. Ces chiffres précis permettent de garantir que les équipements sont assez solides et prévenir les blessures en accordant des temps de repos suffisants après les entraînements les plus exigeants.
C’est bon pour le moral !
Le bien-être psychologique des artistes est également pris en considération : « Pour performer, il faut que l’élève soit mentalement disponible, prêt à s’entraîner, explique Patrice Aubertin. S’il dort mal parce qu’il est en choc culturel ou qu’il s’ennuie de sa famille, il ne sera pas aussi apte à relever les défis. »
Les chercheurs ont donc conçu un questionnaire que les élèves passent quatre fois par année afin de faire le point sur leur cheminement et réfléchir aux aspects de leur vie qui influencent leur performance en grugeant de l’énergie.
Une carrière dans le milieu du cirque implique souvent des voyages. C’est glamour, mais cela apporte de nombreux défis : décalage horaire, choc culturel, éloignement de la famille et des amis… Patrice Aubertin espère que leur approche permettra aux élèves de mieux s’adapter. Et preuve que la démarche est pertinente, le Royal Ballet de Winnipeg a récemment adapté le questionnaire pour ses danseurs !
Texte Raphaëlle Derome
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