Like-moi pas.

17 octobre 2016 - Curium

pogo

Croquer dans le pogo de Micheline, c’est le goût de mon adolescence.

Micheline et son sous-sol : notre QG. Micheline, mère de deux ados et hôtesse en titre, qui descendait avec un plateau de pogos pour nourrir la bande d’adolescents affamés qu’elle laissait vieillir à la cave. Merci Micheline. La plupart des ados de ma banlieue passaient leur samedi soir dans le stationnement du Tim Horton…Seul endroit où ils pouvaient flâner en paix.

Flaneux ou « mangeux » de pogo, on cherchait tous la même chose : un territoire non occupé.

Cette terre promise, les adolescents de la présente génération l’ont découverte et rapidement conquise : les réseaux sociaux. Ici, personne pour les chasser, pas de cadre rigide, pas de parents protecteurs et un langage qui leur appartient. Enfin… un refuge.

Papa, maman, « mononcle » chose et « matante » psycho pop débarquent sur Facebook ? Les ados se rabattent sur Instagram et Snapchat. Plus intéressant encore, me faisait remarquer le PDG d’une entreprise de marketing programmatique, ils se les approprient. Ils utilisent les outils technologiques à leur façon, pas forcément comme le concepteur l’avait prévu. Ils se recréent un espace de liberté.

Et c’est normal.

Si toute notre généalogie s’était invitée dans nos partys de sous-sol, si nos rassemblements d’amis s’étaient transformés en party de famille, on aurait vite fait de déserter les lieux. Pour échapper à leur surveillance, c’est vrai. Mais surtout parce qu’on voulait refaire le monde entre nous. Rêver et partager nos craintes avec des gens comme nous.

 « Ma mère, pense que je joue à des jeux ou que je perds mon temps. Mais j’ai plusieurs groupes Facebook constitués d’élèves de mon école sur lesquels nous nous entraidons, nous nous posons des questions » Maggie, lectrice Curium

 « Les adolescents de ma génération se tournent vers les réseaux pour faire du social, pour être proches des gens. » – Wendy, lectrice Curium

 « C’est vrai qu’on parle plus souvent à nos camarades sur les réseaux sociaux que face à face, mais c’est aussi plus facile comme ça. J’aime bien les réseaux parce qu’ils me permettent de communiquer, même avec les gens que j’aime qui sont loin. » – Clara, lectrice Curium

Le NET, c’est le ciné-parc des années 50, le centre d’achat des années 80-90, le sous-sol de Micheline. Mais c’est aussi une brèche par laquelle les jeunes peuvent entrer dans la vie publique et y participer.

On devrait s’en réjouir, mais on est trop occupés à se faire du mauvais sang. Intimidation, prédateurs sexuels, violation de la vie privée, dépendance : le bouton panique est déjà bien enfoncé. En partie, avec raison. Mais il faut faire la part des choses. L’intimidation et le harcèlement n’ont pas été inventés avec les réseaux sociaux.

Nos parents nous mettaient en garde contre les vieux pervers et les bandes de voyous qui rôdent dans les parcs le soir. Les parents d’aujourd’hui s’inquiètent des rencontres auxquelles leurs enfants s’exposent sur ce nouveau terrain de jeu…hostile. Et de la même façon qu’on a appris à ne pas suivre les inconnus, ils devront apprendre à refuser leurs invitations d’amitié.

ados

Éduquer au lieu de s’affoler

La difficulté lorsqu’il s’agit d’éduquer les jeunes aux médias numériques, c’est qu’on doit d’abord en saisir tous les enjeux. Pensez à la protection de vos données privées. La question est préoccupante. Au magazine, de nombreux ados nous écrivent d’ailleurs à ce propos. Est-ce vrai que mes informations personnelles sur Facebook sont vendues ? Est-ce que ce que j’efface reste sur le serveur de Facebook ? Le réseau a-t-il accès aux photos dans mon cell ?

On aimerait bien les rassurer. Leur dire que c’est du baratin, des légendes urbaines, que l’utilisation des données numériques est encadrée et régie par des lois strictes. Mais ce n’est pas le cas. Alors, on leur répond la vérité. Et eux, ils bricolent pour préserver les petits morceaux d’intimités qu’ils laissent échapper sur le web.

Ils expérimentent. Se construisent de faux profils : Audrey, 15 ans, étudiante, devient Louise, 45 ans, infirmière. Ils optent pour des réseaux éphémères comme Snapchat dont le contenu disparaît au bout de 24 heures. Et ils configurent leurs paramètres de confidentialité au mieux de leur connaissance.

Au fond, les ados d’aujourd’hui sont nés à une période ingrate. Ils ont fait leurs premiers pas dans le numérique la couche aux fesses (parce que, oui, même la couche numérique était inventée). Ils ont grandi avec le web social et leurs 5 écrans. Rien de plus naturel, pour eux, que la technologie. Or, ils débarquent en pleine jungle. Les générations précédentes ont laissé pousser le numérique, sauvage, un peu n’importe comment. Et, ils sont plusieurs spécialistes à le dire : ce sera à eux de poser les balises de l’acceptable (ou non), notamment en ce qui concerne l’accès à la vie privée.

« Contrairement aux adultes, nous sommes nés avec ces appareils et ces plateformes. Lorsque les jeunes de notre génération (Z) seront adultes, la majorité ne pensera pas que les réseaux sociaux sont mauvais. Tout est une question d’habitude. » – Arielle, lectrice Curium

Dans son excellent ouvrage, It’s complicated, la chercheuse américaine Danah Boyd, écrit « les ados ne cherchent pas à comprendre comment les choses sont différentes en raison des technologies, ils essaient de se faire une place dans l’espace public, où la technologie est un acquis ». Être sur le web, donc, c’est être tout court. Et y consacrer beaucoup de temps, ce n’est pas forcément y être accro. C’est vivre sa vie d’adolescent : construire son cercle social, passer du temps entre amis, s’informer sur le monde.

S’informer…ou se désinformer. Parce que sur les réseaux sociaux (principale source d’information des adolescents), on trouve tout et n’importe quoi. Les adolescents sont les premiers à admettre qu’ils ont du mal à démêler le vrai du faux. (Curium a d’ailleurs publié une boîte à outils contre la désinformation en septembre.)

Alors, parlons franchement : le deux tiers des Canadiens de 13 ans ont désormais un téléphone intelligent. On peut décider de leur retirer, leur placer une couverture et des allumettes entre les mains pour qu’ils apprennent à communiquer par la fumée, ou leur donner les moyens de mieux s’en servir. Parce que le véritable enjeu, ce n’est pas d’arrêter la machine (ce serait de toute façon impensable), c’est de leur apprendre à l’utiliser intelligemment.

Qu’est-ce qu’on fait ? On espionne ? On restreint ? Non. On fait comme Micheline. (Ça, je l’ai compris quelques années plus tard.) On descend au sous-sol de temps en temps avec un plat de pogos et on discute un peu pour s’assurer que tout va bien.

Noémie Larouche, rédactrice en chef

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2 réponses à “Like-moi pas.”

  1. david dit:

    y a t il un endroit en France ou l’on peut trouver des pogos , (un distributeur ) ? la derniere fois que j’en aie manger remonte a 23 ans ! merci de vos reponses .

    • Jade Bérubé dit:

      Oh, je ne sais pas… Lors de mes pérégrinations en France, je n’en ai jamais vus! Il vous faut venir au Québec! 😉